Garder le cap malgré les secousses

Christophe Maret et Joël Di Natale, président et directeur du Groupe ALTIS, tirent de cette année un bilan mitigé. Le marché de l’électricité est fortement secoué, et les comptes s’en ressentent. Mais la transformation digitale est en cours, qui devrait donner à la société les outils pour remonter la pente. En attendant un accord avec l’Europe, des produits et services plus matures et peut-être de nouvelles unions stratégiques?

Quels ont été les moments forts de l’année?

Joël Di Natale (JDN) Le premier qui me vient à l’esprit: l’inauguration de la microcentrale hydroélectrique de La Montoz. Elle permet d’améliorer le portefeuille de production indigène et renouvelable de Val de Bagnes. Il faut dire que la Commune est exemplaire en la matière. Même s’il y a des projets à risque, même si la rentabilité n’est pas immédiatement perceptible, elle continue d’œuvrer au profit de la transition énergétique. Ici, le mot «durabilité» n’est pas galvaudé. C’est motivant de travailler dans cet environnement.

Christophe Maret (CM) On travaille effectivement dans un climat d’incertitude permanent, mais cela ne doit pas nous empêcher de prendre des décisions pour le futur, même si c’est difficile de se projeter au-delà de cinq ans.

Comment expliquer cette incertitude?

CM Elle provient du marché et du terrain. Le marché de l’énergie est volatil, à l’image de l’activité boursière, et la situation géopolitique renforce ce phénomène, tout comme l’absence d’accord avec l’Europe et un cadre législatif en perpétuel changement. Sur le terrain, notre réseau et nos prévisions sont malmenés par la très forte augmentation des injections d’énergie photovoltaïque.

JDN À son échelle, ALTIS se pose les mêmes questions qu’un particulier: pompe à chaleur, géothermie ou chauffage à distance, installation solaire et/ou thermique, batterie physique et/ou communauté d’autoconsommation? Que faire pour que cette transition énergétique soit durable et financièrement supportable, tout en maintenant un même confort au quotidien? Bien que nous revisitions régulièrement notre stratégie d’investissements, le quotidien nous rattrape très vite: gérer un réseau électrique sous tension, au sens propre comme au figuré, des réseaux d’eau potable, d’évacuation et d’irrigation décentralisés, des installations de chaleur à distance complexes, de nouveaux systèmes digitaux. Et je ne parle pas de l’achat et de la vente d’énergie! Heureusement que tous nos collaborateurs sont à la barre. Nos compétences nous permettent d’appréhender au mieux ces nombreux défis. Mon regret: nos efforts ne sont pas toujours récompensés sur le plan comptable. L’année 2024 a été très difficile.

Sans bénéfice, on ne peut plus investir, et si on n’investit plus, on se met en grande difficulté.

Christophe MARET
Président du Conseil d’administration

En quoi l’absence d’accord avec l’Europe est-elle problématique?

JDN Bien qu’elle se situe physiquement au cœur de l’Europe, la Suisse ne fait pas partie du marché européen, et son accès à ce dernier est donc limité, ce qui engendre une augmentation des risques de pénurie et de hausse des prix. N’étant pas à la table des négociations, nous dépendons fortement des décisions européennes.

CM Ces accords sont effectivement indispensables, mais ça implique aussi que le marché s’ouvre complètement. Aujourd’hui, seules les entreprises qui consomment plus de 100’000 kWh par année peuvent acheter leur électricité sur le marché européen. Demain, chaque petit consommateur pourrait en théorie en faire autant.

Comment ALTIS évolue-t-elle dans ce contexte incertain?

CM Nous devons en permanence requestionner nos modèles d’affaires, nos activités. Lorsque nous avons créé SOGESA, une société fille, pour gérer et valoriser l’électricité de nos communes actionnaires, c’était un modèle génial, extraordinairement courageux pour l’époque. Aujourd’hui, nous ignorons s’il sera viable à l’avenir.

JDN Nous sommes donc en train de réinventer son destin, passionnant! Vous l’avez compris, tout s’est accéléré. D’un côté, nous travaillons avec des conseils municipaux et des administrateurs que l’on voit régulièrement, mais de l’autre, nous sommes acteurs d’un marché dont l’unité de mesure est le quart d’heure, où les appels d’offres ne sont valables que 30 minutes, et où les interventions nécessitent des décisions quasi immédiates.

Comment éviter cette tension permanente?

JDN Pour y échapper au mieux, nous priorisons constamment, nous digitalisons nos activités, nous mettons en place des processus décisionnels efficients, nous nous formons, nous exerçons une veille légale et technologique attentive, nous innovons, et j’en passe. Sur le plan technique, il est absolument nécessaire de mesurer, contrôler, réguler, facturer, et anticiper la production et la consommation, et ce, tant de l’électricité que des besoins en eau et en chaleur. Nous avons lancé une transformation digitale pour mettre en place des solutions techniques afin de collecter ces données. Enfin, nous nous unissons pour partager les développements et leurs coûts. C’est le cas avec INERA et Smart Data Energie notamment.

CM Cette transformation n’est pas simple à vivre, ni pour les équipes ni pour les directions. Mais plus nous saurons prévoir, plus nous pourrons acheter et vendre de l’énergie de façon pertinente et générer des recettes. Le Conseil d’administration va bien sûr chercher à préserver les emplois sans viser une rentabilité maximale, mais on ne pourra pas enregistrer chaque année des pertes. Sans bénéfice, on ne peut plus investir, et si on n’investit plus, on se met en grande difficulté.

Comment vos équipes vivent-elles cette transformation digitale?

JDN Avec beaucoup de professionnalisme, d’engagement et d’abnégation, pour autant que nous prenions le temps de donner du sens. Dans le monde dans lequel nous vivons actuellement, je pense ne pas l’avoir suffisamment fait en 2024. Nous avons organisé des ateliers, des séances d’informations, des rencontres avec la commission du personnel, mais tout le monde n’a pas forcément compris tous ces enjeux. Certains ont exprimé leur mécontentement, d’autres nous ont quittés. Heureusement, des collègues ont pris le temps de nous remercier pour les actions correctrices mises en place.

CM Les ressources humaines ont beaucoup changé. Aujourd’hui, chaque maillon de la chaîne a besoin de comprendre pourquoi il fait les choses. On a sans doute insuffisamment informé. Mais ce n’est pas simple. Les thématiques que l’on traite sont complexes et très techniques.

Nos équipes sur le terrain veillent 24h/24 sur nos installations stratégiques.

Joël DI NATALE
Directeur général

Qu’en est-il de la gestion de vos réseaux, que vous assurez pour SEDRE SA, GECAL SA et la Commune de Val de Bagnes pour l’eau ?

JDN Il y a quelques années, pour les réseaux électriques, la chaîne de valeur du kilowattheure, du producteur au consommateur en passant par le transporteur, était relativement simple. Aujourd’hui, le consommateur est devenu producteur. Les flux d’énergie s’inversent. Nous devons donc revisiter nos systèmes. Pour l’eau, trois choses sont importantes: livrer une eau potable de qualité, traiter nos eaux usées de manière irréprochable et permettre à notre agriculture de poursuivre ses activités au mieux, grâce au réseau d’irrigation. Quant au chauffage à distance, je ne suis pas persuadé que nos clients accepteraient une interruption de nos services au cœur de l’hiver! Nos équipes sur le terrain veillent 24h/24 sur nos installations stratégiques.

Dans le domaine de l’électricité, nous entendons beaucoup parler de l’autoconsommation. Est-ce que ce nouveau modèle de partage ne simplifie pas vos activités?

JDN Bien au contraire! Ces nouveaux modèles, comme les communautés d’autoconsommation virtuelles ou encore les communautés électriques locales, complexifient notre travail. Le gestionnaire de réseau devra gérer des comptes d’accès virtuels et les flux d’énergie, appliquer un tarif préférentiel pour l’utilisation du réseau, faciliter les transactions et la facturation. Un joli défi, non? Mais une simplification, pas sûr! (Rires

Christophe Maret, c’est votre dernière année à la présidence de Val de Bagnes et d’ALTIS. Quel est votre bilan?

CM Après seize années passées au Conseil d’administration, je me réjouis d’avoir amené Orsières et Liddes dans l’actionnariat des sociétés du Groupe ALTIS. Je suis aussi fier du pôle d’innovation sur l’eau que nous avons créé avec BlueArk Entremont. Là aussi, les enjeux sont colossaux. Nous allons devoir à l’avenir décider qui a la priorité de l’usage de l’eau. L’agriculture, l’enneigement mécanique?

JND Nous tentons de répondre à ces questions de gouvernance à l’échelon local via BlueArk et le projet «Nemesis».

CM L’énergie et l’eau sont des enjeux mondiaux et chaque acteur du domaine doit contribuer à veiller à leur pérennité.

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